Dans une coquille, si fragile ...
Elle s’est réfugiée dans sa coquille. Une coquille si mince que le moindre choc peut la briser. Mais elle ne le sait pas encore.. Elle jouit pour l’instant de son retrait du monde, comme hors du temps. Une micro-halte, mais elle ne le sait pas encore. La paix ne règne pas sur cette planète, ni chez les hommes, ni dans la faune, ni dans la flore, ni, surtout pas, dans les particules. D’ailleurs le degré le plus violent réside dans l’infiniment petit. Atome, commence comme Amour, mais aussi comme Apocalypse. Elle ne le sait que trop bien, elle, qui tente de fuir ce magma intense de la vie terrestre. Cette planète qui vous offre la vie, mais vous la retire au gré de ses colères apocalyptiques. Alors, les infimes tourments de l’âme humaine n’existent pas pour la Mère. Et pourtant, Elle devrait se méfier, car, ces misérables vermisseaux pourraient l’anéantir.
Mais, je digresse. Je racontais l’histoire d’une recluse, de quelqu’un qui s’est mis entre parenthèses. J’en reviens donc à elle, l’humaine. Elle vit près d’une mégapole qui étend ses tentacules sur une région, sur un pays. Elle attire dans sa toile des millions d’êtres qui croient au miracle de la réussite matérielle, Des millions de transhumants assez désespérés pour parcourir la moitié de la planète, au péril de leur vie, et rejoindre l’immense cohorte de ceux qui n’ont plus de foyer. Une masse habituée à la lutte, au chacun pour soi, à ne voir en les autres, même en leurs hôtes des ennemis potentiels. Un scénario qui perdure depuis des millions d’années. On n’a rien appris. Nous n’avons toujours pas quitté l’obscurantisme de l’avant préhistoire. Nous sommes toujours indignes.
« Mais qu’est-ce que l’indignité ? Mais qu’est-ce que la dignité ? »
E lle est plantée devant la fenêtre de sa chambre, là-haut, au deuxième étage de la maison et observe la perruche égarée sur la pelouse commune à la cité pavillonnaire et qui n’ose s’approcher du groupe de moineaux qui fait bombance en cercle défensif. La pie, cette tueuse qui n’hésite pas à percer un crâne de moineau ou d’étourneau à coups de bec, s’est posée non loin. Elle a senti la détresse de la fugueuse dans son comportement timide. Virginie, oui, c’est ainsi qu’elle se prénomme : Vir-gi-nie. Vous n’aimez pas ? Vous aimez ? Virginie, l’appareil photo en mains se moque pas mal de votre avis.. Elle aime bien son prénom. Pour ses dix ans ses parents lui avaient offert Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre. (Illustre inconnu pour vous ? Cela ne m’étonne pas : vous n’apprenez plus rien à l’école !)
Virginie pense, en les regardant et en fixant la bague destinée à recevoir le téléobjectif, que cette scène où la perruche occupe le rôle de la harcelée (n’avait qu’à rester dans sa cage, à l’abri des félins et autres prédateurs !) ressemble à ce que les humains font subir aux leurs. Son amour des autres, son altruisme sans limite, et, surtout, sa grande naïveté de croire à une humanité bonne et généreuse l’ont laissé sans défense, Derrière sa fenêtre à double vitrage qui atténue le bruit des avions, mais pas les décibels des pépiements (proportionnellement plus puissants que ceux des énormes jets) elle pointe le téléobjectif, mais c’est trop tard. Il ne reste que deux moineaux qui picorent dans l’herbe. Elle est déçue, car elle voulait poster la photo sur le forum, agrémenté d’un texte coloré d’humour. Cet humour qui cache souvent la mélancolie, mais maintient la tête hors de l’eau, du moins vis-à-vis des autres. L’humour est une bravade, une façon détournée de protester, de résister, tout en respectant les règles de civilité. Avec l’humour, on peut se moquer de soi et des autres en ménageant les susceptibilités.
Aujourd’hui, Virginie ne croit même plus à l’humour. Elle s’est laissée envahir après des années où elle a fait semblant de ne pas être affectée par l’hostilité ambiante.
Elle est la perruche, cet oiseau exotique qui s’essaie à l’indépendance sur un continent qu’il ne connaît pas.
Son mari est gentil, mais il ne comprend pas. Pour lui, elle joue la comédie pour rester à la maison. Mais depuis la disparition de son dernier frère, les angoisses et les insomnies, il les subit. Avant, elle aurait remis les pendules à l’heure. Maintenant, elle ne veut plus user le peu d’énergie qui lui reste à se battre. De toute façon, à quoi bon ; on ne change pas les autres et l’on refuse de se changer par esprit de résistance, ou par lassitude. En fait, chez elle les deux sentiments se mélangent. Ni blanc, ni noir, chacun de nous est un kaléidoscope où il se perd. Ceux qui soutiennent qu’ils s’y retrouvent ne possèdent pas une vaste palette de couleurs ; ils sont pauvres.
Elle ne quitte plus sa chambre depuis plusieurs mois. Elle n’a pas besoin de sortir puisque Domi, le retraité, sort pour s’occuper de la très vieille dame d’en face qui panique s’il ne vient pas quotidiennement la visiter. Lui, il a besoin de s’arrêter dans la rue pour discuter avec un voisin, une connaissance. Virginie préfère rester dans son coin. Elle n’est pas hostile, c’est juste qu’elle n’a plus confiance.
Virginie, Virginia … elle n’avait pas fait le rapprochement, Virginia Woolf l’aurait comprise. Elle est une fausse ermite, puisqu’elle vit dans un certain confort. Comme elle ne travaille plus, elle n’a plus envie de dépenser, ni de s’habiller, ni de se maquiller. Elle hiberne et son compte en banque respire.
La coquille protectrice de l’ilot qu’elle s’est créée au deuxième étage reste fragile.
Elle reçoit des bouffées du monde extérieur, par les autres membres de la famille qui poursuivent une vie normale, les médias. Elle surfe sur un forum où les relations demeurent factices.